Après plus de trente ans de galère, me voici enfin libre.


Kerantorec vu par Yves Samson, détail du dessin Pallas-Kerantorec, 1987, dessin au rotring sur Canson


J'ai fini de payer ma chaumière. Kerantorec m'appartient désormais. 


Je ne partage plus le domaine, hérité en ruines de mon père, avec l'huissier qui de temps en temps venait m'en menacer de saisie. Je ne le partage plus avec le Crédit Agricole qui avait mandaté le dit-huissier pour venir me rendre visite d'année en année. 


Je ne partage mon domaine qu'avec les oiseaux, les fleurs, les arbres, l'esprit des ancêtres, les âmes de celles et ceux qui m'ont précédée sur cette terre. Et avec vous qui vous me lisez et m'avez tant aidée par vos courriels au fil du temps.


Je ne dois plus rien à personne.


Je peux même regarder la tête haute mes proches, qui, au lieu de m'aider et me soutenir quand j'élevais seule mes enfants, parfois avec l'énergie du désespoir, alors qu'ils avaient deux salaires, parfois deux maisons, ont jugé bon de capter l'héritage de mon jeune frère Bruno, qui m'avait légué, à moi seule, le peu qu'il avait. 


J'ai accepté de partager mon héritage car j'étais dans le deuil, la désolation, la survivance. Je ne pensais pas à l'argent, au patrimoine, à la valeur matérielle. Je ne pensais qu'à conserver la mémoire de mon frère vivante par mes écrits internautes. 


J'ai mis douze ans, au moment de l'anniversaire de la mort de Bruno, à réaliser que j'avais été abusée.



Comment dire les hontes et les humiliations subies ?


Quand mon frère voisin a osé venir chez moi me piétiner et piétiner la mémoire de Bruno dans sa tombe, en prétendant que le testament de Bruno n'était que "délire d'alcoolique", que moi-même je n'étais qu'une "rêveuse qui devait redescendre sur terre, une paresseuse qui n'avait jamais voulu aller travailler, qui n'avait rien fait de sa vie" ?!


Comment dire les découragements, rares mais intenses au risque du naufrage, qui m'ont parfois submergée, quand il était trop dur de tout porter à bout de bras ? 


Plus besoin de le dire, j'ai tout écrit dans mes cahiers, c'était le meilleur exutoire possible, la meilleure thérapie pour soigner des plaies profondes. 


Je puis donc être fière de moi. Mes filles me l'ont confirmé. Mon petit-fils a pris ses marques à Kerantorec. Cela seul compte.


Ce matin, un bel oiseau inconnu se pavanait au fond de la prairie...


au loin le bel oiseau



Et je me sens forte de cette alliance avec la nature qui me porte ! © gaelle kermen 2 mai 2010